Championnats d’Europe, Graz, 4ème journée
Jean-Christophe Berlot.
Libre Danse : le choc d’un changement
« Ils ont commis deux minuscules accrocs, et à ce niveau, surtout dans ce contexte (à deux ans des Jeux), cela a fait la différence », explique Romain Haguenauer, leur entraîneur, quelques minutes après la stupéfaction de la patinoire découvrant les notes des Français. Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron ne réussiront pas à emporter un 6ème titre européen d’affilée. Victoria Sinitsina et Nikita Katsalapov les précèdent de quatorze centièmes de points : 220,42 pour les Russes, et 220,28 pour les Français. Alexandra Stepanova et Ivan Bukin remontent d’une place et reprennent leur médaille de bronze devant les valeureux Italiens, Charlène Guignard et Marco Fabbri.
Deux accrocs : un très léger déséquilibre dans les twizzles, et surtout un autre dans la séquence unipodale (One foot step). Si légers, si minimes. Oui, mais voilà : le jugement de la Danse se fait par la négative. On enlève des points (à chaque éraflure) en faisant mine d’en ajouter (pour chaque élément), et à l’arrivée il suffit d’un niveau pour faire la différence. Et au passage les composants des Russes sont remontés au niveau des Français.
Et pourtant … Gabriella et Guillaume restent uniques : eux seuls savent nous entraîner dans un autre monde, une dimension où rien ne se compte de la même manière. Un monde où le temps s’efface derrière l’éternité d’un moment ; d’ailleurs quand leur musique s’arrête on se demande, étonné : « déjà ? ». « On est content de notre performance, confirme Guillaume. Chaque moment est unique, et on a attrapé ce moment-là. On est reconnaissant d’avoir pu le prendre ». Quand Gabriella le rejoint, dans la zone mixte, ils concluent ensemble : « comme on a été surpris de gagner (il y a 5 ans), on est surpris de perdre … ». Aux journalistes rassemblés en salle de presse ils diront ensuite : « Bien sûr, cela va nous servir. Cette envie de compétition nourrit aussi notre chemin ! »
Victoria et Nikita n’ont pas démérité, tout au contraire. Sur le violon des « Chansons que me racontait ma mère », de Dvorak, ils nous ont offert un programme romantique à souhait, des balancés de corps très langoureux à deux, de grands élancements … Leur séquence sur un pied, justement, est si fluide ! Et leur porté en courbe très impressionnant. Ils font aussi le plein sur leurs éléments chorégraphiques : 1,10 points chacun en valeur faciale (pour un niveau 1, que personne ne dépasse), mais 10,20 points pour les GOE des trois !
Stépanova et Bukin ont aussi patiné très propre, très classe leur programme sur « Primavera » et « Cry Me a River ». Ils battent leur record personnel de 2,22 points à 127,64, et un total de 211,29 points. Neuf points derrière les deux premiers qui désormais, sur le papier du moins, se sont rejoints.
« Contents … Soulagés … Mais il reste beaucoup à faire pour améliorer la qualité technique et artistique », dit Louis Thauron en sortant de piste. « Le thème de Carmen pousse à une certaine intimité entre les partenaires, ajoute Adelina Galyavieva. Il nous a fait progresser dans la connexion. On sent la différence entre l’énergie de l’homme et l’énergie de la femme ». « On l’a pris comme un challenge pour justement progresser dans ces directions, et se créer une place dans la hiérarchie, qui ne nous attend pas », conclut Louis. 105,30 points au libre, record personnel et 12ème place finale.
Quant à Evgeniia Lopareva et Geoffrey Brissaud, qui s’entraînent à Moscou (« J’apprends le Russe tous les jours ! » dit Geoffrey), ils auront acquis une belle expérience à Graz. Ils patinent très beau, très ensemble. « On travaille beaucoup pour cela, dit Geoffrey, en particulier au sol. A vrai dire, on passe à peu près autant à travailler au sol que sur la glace … ». 15èmes !
Et Libre Dames : bingo russe !
Alena Kostornaia, Anna Shcherbakova et Alexandra Trusova ont confirmé sans surprise leur mainmise sur le podium européen. Elles sont aussi les trois seules patineuses du jour à franchir la barre des deux cents points au final – et de beaucoup : 240,81 pour Kostornaia, 236,76 pour Shcherbakova, et 225,34 pour Trusova.
Il y a un monde entre des jeunes femmes et des enfants. En termes de présentation sur la glace, bien sûr, mais aussi de résultats : Alexa Paganini, la Suissesse, quatrième à l’issue des deux épreuves, termine 48 points derrière Kostornaia. Ses suivantes, la Finlandaise Emmi Peltonen et Ekaterina Ryabova, d’Azerbaïdjan, plus de 58 points ! Le patinage féminin actuel joue dans deux catégories bien différentes.
Maé-Bérénice Méité est 9ème, Maia Mazzara 11ème après une remontée sensationnelle de la 16ème place, et Léa Serna 16ème, après un bon début de programme et une fin … A reconstruire !
Le podium de ces Championnats était certes prévisible, mais il ne s’est pas gagné sans peine, et on a vu chacune des trois concurrentes russes retourner vers leurs entraîneurs en larmes : Shcherbakova est tombée sur son deuxième quadruple Lutz, Sasha Trusova sur deux de ses quadruples, le Lutz et le boucle piqué, et Kostornaia, sur un triple Lutz esseulé en fin de programme.
Il n’empêche, et par ordre d’apparition sur la glace : quadruple Lutz – triple boucle piqué, quad flip (jugé incomplet), et 5 autres triples pour Shcherbakova, intemporel oiseau de feu sur la première Gnossienne d’Erik Satie et la musique de Stravinsky. Quad toe – triple toe splendide pour Trusova sur « Games of Thrones », en plus de 5 triples, dont deux combinaisons magnifiques en fin de programme. Et deux triples Axel et 5 triples pour Kostornaia, toujours dans les étoiles de « New Moon » et « Supermassive Hole ».
La vitesse de rotation de ces filles – surtout Shcherbakova –défie les lois du moment cinétique. Au-delà de l’exploit, au-delà de la perfection extraordinaire de puissance et de précision de leur sport, la question demeure du sens artistique de ces trois programmes, de ce qu’ils aident l’humain à comprendre et à vivre. Le prodige acrobatique et la perfection portent néanmoins une très belle, et forte émotion.
Le programme d’Alexa Paganini, malgré un triple Lutz raté, sur son thème de La La Land, porte tellement plus de sens !
Maé-Bérénice Méité peut partir heureuse de Graz : « J’ai réussi deux programmes corrects ici, et cela me ressemble davantage. A présent il faut viser 180 points, voire 200 pour prétendre au top mondial », dit-elle. Son objectif : « Le Top 10 mondial en 2021, pour gagner deux places pour la France aux JO ». Son total du jour, 172,08, est un bel encouragement. Ses combinaisons triple – triple, qu’on ne lui avait pas vu faire avec autant de régularité depuis longtemps, également.
Maia Mazzara réussit un programme superbe, avec triple Lutz et flip, Salchow et boucle piqué. Le boucle seul manque à l’appel. « Je suis contente d’avoir réussi le Lutz et le flip, alors qu’à l’entraînement un seul passait. Quant au boucle, c’est une faute d’attention, j’ai décalé la pirouette avant et ai manqué de vitesse ». Le travail considérable réalisé sur les bases à ses débuts, avec son premier entraîneur Jean-François Ballester, est plus que visible : son patinage est fluide, son toucher de glace exceptionnel. « Si le 3 qui précède le flip est bien fait, on limite forcément le risque d’erreur », explique-t-elle. 112,95 pour son libre, un record personnel pulvérisé de 7,27 points !
Le coucou suisse de Shoma
Le monde a découvert à l’approche de Noël que Shoma Uno allait désormais s’entraîner à Champéry, à l’Ecole de patinage de Stéphane Lambiel. Il y rejoint Deniss Vasiljevs, le valeureux Letton. Ravi de le voir arriver : « Comment pourrais-je ne pas l’être ? J’ai tellement à apprendre de lui. Il est gentil, et il me motive. Il exécute des éléments tellement difficiles. Je ne veux pas rester à la traîne ! Et on aura des choses à partager … »
Stéphane Lambiel a bien voulu nous accorder une de ces belles interviews dont il a le secret. Vous la trouverez dans le prochain numéro (161). Fan de Shoma ? Abonnez-vous !
Simple complexe…
Alexandra Trusova (appelez-la Sasha !), la reine des quads, admet qu’un seul lui échappe encore : le quad boucle. Le triple Axel résiste aussi. Hier, elle a fauté sur le double Axel de son programme court. « C’est un saut facile, mais j’ai tellement envie de réussir un triple Axel ! Explique-t-elle. Je le réussis de temps à autre, mais pas à chaque fois. Je veux avoir le contenu le plus difficile possible dans mes programmes : sinon je fais des erreurs sur les éléments les plus simples … » Visez les étoiles si vous voulez atteindre la lune …
Ces princesses et leurs animaux
Alena (Kostornaia), Anna (Shcherbakova) et Alexandra (Trusova), également connues sous le signe « les 3 A », ont passé plus de temps à parler de leurs animaux que de leur patinage pendant la conférence de presse à l’issue de leur programme court. Vous voulez savoir ? Visiblement ces animaux sont tellement importants dans leur vie et le peu de temps libre qu’elles ont …
Alena a trois chiens, un chat et un lapin, « ils vont tous bien et s’entendent bien ». Boni, le chien d’Anna, « a eu des problèmes mais il va mieux et les chats sont en bonne forme pour se bagarrer ». Quant à Tina, le chien de Sasha, « Il a fait le voyage avec moi. Lana, par contre, est restée à la maison avec Chloé le chat. Lana est drôle, elle avait vraiment envie de venir aussi. Chloé est un chat, donc cela n’a pas d’importance pour elle ! »
Face à leur image
Quand vous entrez dans l’hôtel officiel des patineurs, au cœur de Graz, vous êtes accueillis par un immense poster portant la photo de Gabriella et Guillaume en carre devant les monuments de Graz. Quand la dernière navette venant de la patinoire d’entraînement a débarqué son lot de champions, vendredi soir, les quintuples Champions d’Europe sont passés devant leur poster sans y jeter un regard. Mais tout d’un coup vous vous demandez : qui sont les stars, et qui sont leur image ? La piste glacée est un miroir. Mais quand vous êtes une star, le monde parfois vous offre aussi comme un miroir. Et l’image qu’il vous renvoie nourrit votre art en retour. Merci les champions !